PAS-SAGES

 Pendant l’année 2021-2022, une douzaine d’enfants de Fontenay-sous-Bois ont accepté de prendre part à une aventure artistique proposée par Ahmed Madani. L’auteur metteur e scène a voulu faire entendre leurs voix
et peindre avec eux un tableau qui représenterait leur manière d’être au monde. Ils ont tous ensemble décidé de relever ce défi : Après plusieurs semaines de rencontre, sur scène, ils ont ouvert leur cœur et ont raconté l’enfance d’aujourd’hui. Ils sont comme des chevaux fougueux plein de vie et d’élans pétillants… En ces temps troubles et inquiétants où chacun s’interroge sur l’avenir de notre humanité, ces paroles d’enfants nous éclairent sur nos vies d’adulte.

 « Fontenay-sous-Bois est une ville moyenne de la banlieue parisienne, inscrite dans le Grand Paris. Son passé la relie à cette mégalopole d’un  point de vue urbanistique avec ces belles maisons bourgeoises proches du Bois de Vincennes, ces pavillons de banlieues devenus signes de richesse et ces tours des quartiers populaires. C’est là le caractère singulier d’une ville où la gentrification ne date pas d’aujourd’hui, où le monde ouvrier a toujours été présent et où par la suite des populations venues d’autres régions du monde se sont installées. C’est donc une ville du 21ème siècle et j’ai souhaité que les enfants qui la peuplent se retrouvent sur une scène et partagent leur diversité en lieu et place de leurs parents qui bien que demeurant sur le même territoire ne parviennent pas toujours à se rencontrer.

En essayant de comprendre ce qui anime l’enfance et l’adolescence, ce qui fait sens pour cette génération, ce qui la questionne, ce qui se profile pour elle à l’horizon, mon désir est de rendre compte d’une histoire du temps présent. Mes réflexions portent sur la filiation, sur ce qui relie ces enfants à leurs parents, à leurs grands-parents et aux générations qui les ont précédées. Jusqu’où leur mémoire remonte-t-elle ? Que savent-ils de leur histoire ? Quelles attaches ont ils avec ce territoire ? Comment se projettent-ils dans l’avenir ? Très proches de l’enfance, mais déjà dans le passage qui les mène à l’adolescence et aux portes de l’âge adulte, ils sont là face à nous dans leur légèreté et leur enthousiasme. Qu’ont-ils à voir avec ceux qui les ont précédés ? Sans doute peu de choses, tant la révolution numérique a changé les paramètres de leur rapport au monde. Ils m’ont beaucoup parlé, leurs récits passionnants expriment par des mots ce que leurs corps s’échinent à raconter soit par une incapacité structurelle à l’immobilité, la difficulté à écouter l’autre, la volonté démesurée de prendre la parole de façon quasi compulsive, le silence étant pour eux l’expression de l’absence de la vie. Je me suis demandé si cette manière d’être au monde n’accusait pas les contre-coups du délitement du lien social dans notre société. Ces enfants semblent se réfugier dans les mondes parallèles que leur propose une réalité virtuelle imaginaire, fictive et trop souvent violente, pour mieux dissimuler leur vie secrète. Je les ai poussés à évoquer face à nous, grands et petits, la profondeur de leur sensibilité, leur révolte, les brisures et les joies de leur jeunesse. Ces paroles ont résonné sur scène et j’espère qu’elles marqueront ceux qui  sont venus les écouter.

Pas-sages est un voyage dans le temps et dans l’espace, nous passons de l’autre côté du miroir pour y retrouver la force de vie, la candeur, la poésie et l’âpreté de l’enfance. »

– Ahmed Madani